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Pinochet va mieux : la momie est de retour ?

Yann Cugny, un jeune journaliste français installé récemment au Chili, partage avec les Francochilenos son regard sur la semaine agitée par les rapports entre l’état de santé de Pinochet et ses démêlées avec la justice

samedi 9 décembre 2006, écrit par Yann Cugny

Vendredi 8 décembre, 10 heures du matin. La presse publie un communiqué de l’Hôpital Militaire signalant que l’évolution de l’état d’Augusto Pinochet est “satisfaisante”. Une espèce d’indifférence salue la nouvelle dans la capitale chilienne, apparemment rompue aux effets d’annonce alarmistes concernant la santé de l’ancien dictateur.

À Santiago, l’annonce jeudi 30 novembre de la brusque dégradation de l’état de santé du vieux dictateur n’a pas semé l’agitation que l’on aurait imaginée depuis Londres ou Paris. Nul éclat de rire, nul cri de joie ni de souffrance n’a résonné devant les titres affichés sur les innombrables kiosques à journaux de la capitale chilienne. Plutôt l’expression d’une forte circonspection, voire d’une certaine lassitude, devant les complications médicales à répétition du Général à la retraite.

“Il est increvable, le vieux !” bougonne sans empathie excessive l’employée d’une sandwicherie de l’Alameda, devant l’un de ses clients. Il faut dire que les Chiliens sont habitués au cirque médiatique à répétition organisé autour du vieux dictateur, chaque fois que sa santé donne des signes de faiblesse. Nombre d’articles de la presse progressiste font d’ailleurs remarquer que le Général s’enrhume gravement, mime la démence ou l’amnésie, chaque fois qu’un procès l’impliquant directement est engagé.

Cette fois-ci, c’est pour l’enlèvement et l’assassinat de deux proches d’Allende dans le cadre de l’opération “caravane de la mort”, que l’ex-dictateur chilien avait été assigné à résidence depuis le 23 novembre, afin d’être jugé. L’accusation dut sembler assez grave pour justifier que l’entourage du dictateur révèle à la presse un état de santé alarmant, et fasse appliquer au vieillard l’extrême-onction, ultime sacrement appliqué par l’Église aux mourants. À croire que la famille Pinochet s’était laissée convaincre que le dictateur avait bien des péchés se faire pardonner.

On entendit bien quelques fanatiques, réunis devant l’hôpital militaire, prier pour le Général, lui manifester leur appui inconditionnel, le remercier pour ce qu’il a apporté à la démocratie et à la santé économique du Chili, avant d’en découdre avec quelques journalistes et des militants socialistes également. Un secteur de la société chilienne demande toujours qu’on laisse mourir en paix un vieil homme qui n’a plus aucun pouvoir formel au Chili (il a renoncé à son titre de sénateur à vie en 2002). Cette opinion est relayée par une partie de la classe politique, pour qui Pinochet est, selon un députe du Parti pouyr la Démocratie (PPD), “politiquement mort, et depuis longtemps”.

Le gouvernement de Michelle Bachelet n’a pas réagi politiquement à la mort annoncée d’Augusto Pinochet ; le porte parole Ricardo Lagos Weber a déplacé le débat vers un terrain moral probablement moins miné que le terrain politique, en affirmant qu’il était “déplacé” de “parler des funérailles d’un individu qui n’est pas encore décédé”.

L’enjeu des funérailles de l’ancien homme d’État constitue en effet une interrogation : mérite-t-il une célébration nationale ? L’actuelle présidente s’était engagée lors de sa campagne, à ne pas lui rendre de tels hommages ; il semble que, s’il venait à mourir, l’ancien dictateur à la retraite ne bénéficierait que d’une cérémonie strictement militaire.

La véritable interrogation autour de la mort du dictateur ne concerne cependant pas ses funérailles, mais la justice et la réconciliation nationale, dans un pays encore largement tourmenté par les fantômes de la dictature. “Sa mort constituerait une défaite car elle interviendrait sans que le dictateur n’ait jamais eu à répondre devant la justice pour ses crimes”, juge l’écrivain Roberto Castillo (Muriendo por la dulce patria mía, Planeta, 1998) dans une colonne publiée par le site www.elmostrador.cl

La journaliste Patricia Verdugo souligne quant à elle que l’article 93 du Code Pénal chilien relaxe automatiquement tout accusé qui décède avant qu’un jugement n’arrive à son terme. Les avocats de victimes du dictateur demandent en retour à ce que les poursuites puissent être maintenues contre Pinochet, même en cas de décès. Leur but est que la justice puisse éclairer le chapitre le plus sombre de l’histoire chilienne contemporaine, que la mort du dictateur ne suffirait certainement pas à refermer.

commentaires

  • Y se murio !

    "Au moment où disparaît Augusto Pinochet, une photo vient aussitôt à l’esprit : celle de Salvador Allende, mitraillette à la main au palais de la Moneda, à Santiago, quelques instants avant sa mort, lors du coup d’Etat militaire du 11 septembre 1973. La dignité et l’honneur face à l’abjection et l’horreur. C’est peu dire que depuis plus de quatre décennies, Pinochet incarne la figure du salaud. Le souvenir des internés du stade de Santiago, des disparus, des tortures de l’ère Pinochet ne disparaîtra pas avec lui. Sa mort naturelle ne nous rend pas plus indulgents, suscitant seulement le regret éternel que cet homme, qui n’a jamais exprimé le moindre regret pour les crimes commis en son nom, n’ait pas été jugé. Il n’est pas passé loin de la justice à l’occasion d’un séjour à Londres en 1998, lors d’une vaine tentative du juge espagnol Baltasar Garzón de lui faire rendre des comptes. Et il serait assurément un client idéal pour la toute nouvelle Cour pénale internationale si ses crimes venaient à être commis aujourd’hui. C’est en pensant à des hommes comme Pinochet que le concept de justice internationale a progressé dans les consciences et dans les textes. Et il est permis d’espérer que Augusto Pinochet, ce qu’il a représenté, ainsi que les soutiens et les encouragements internationaux dont il a bénéficié (Henry Kissinger, qui a joué un rôle clé, mais jamais élucidé, dans cette affaire, bouge encore...), appartiennent réellement au passé. Le fait que le Chili soit aujourd’hui dirigé par Michelle Bachelet, socialiste et fille d’une victime de Pinochet, constitue de ce point de vue un symbole optimiste, et une ultime revanche sur le dictateur."

    Allons ce soir (lundi 11 déc.à 19h30) place Salvador Allende à Paris.M° Latour Maubourg

    En savoir plus : http://www.liberation.fr/actualite/...