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Voyage dans le Temps

mardi 16 mars 2004, écrit par Jean Michel Hureau

Il est né en 1928 en Allemagne mais chilien à part entière depuis cette date, nous avons décidé de faire son dernier voyage à Temuco en sa compagnie. Après 75 ans de bons et loyaux services, il lui a été imposé de prendre sa retraite. Et il en a vécu des évènements : la Grande Crise, les dernières exploitations de salpêtre du nord, la 2ème Guerre Mondiale, la Guerre Froide, l’accession au pouvoir et la chute d’Allende, la dictature et le retour à la démocratie. Une sacrée page d’histoire !

Alors, quand j’ai annoncé que je voudrais l’accompagner dans ce dernier voyage, j’ai vu des regards se tourner vers moi s’interrogeant si je n’avais pas fumé un drôle de gazon ou mangé une omelette aux champignons hallucinogènes. ¿Estái loco ? Un peu, peut-être, mais être loco motive. À condition de ne pas trop dérailler ! Il a donc été décidé que nous ferions ce voyage dans le temps, et cette fois, en famille. Einstein a eu beau essayer de nous convaincre que le temps s’écoulait toujours dans le sens positif. Eh ben, c’est pas vrai ! On peut remonter le temps. C’est juste une question d’aiguillage.

Bon allez, je vous ai assez raillé, je vais vous mettre sur la voie. Il ne s’agit pas d’un homme illustre, mais d’une drôle de machine. Et pas celle d’un savant fou ! Non, c’est simplement le train qui reliait jusqu’au 18 septembre 2003, Santiago à Temuco. Il fera son dernier voyage Temuco-Santiago dans quelque jours, avant d’être mis au rencart pour cause de modernisme.

Et on est parti pour Estación Central s’embarquer et, surprise, on part à l’heure exacte : 21h30. Pourtant, tous m’avaient prévenu qu’il ne fallait pas être exigeant sur les horaires. Et alors là, on est plongé trois-quarts de siècle en arrière. Boiseries vernies, vieilles lampes, vitres minuscules, wagon-restaurant avec des fauteuils, serveurs à l’ancienne. Nous prenons possession de nos deux « appartements » super-luxe pour deux personnes chacun. Attention, on ne rêve pas de suite non plus, ça fait à peu près 6 m2, avec des lits repliables qu’un brave assistant se charge de nous installer avec une grande amabilité et force expérience. Les filles sont contentes, elles ont leur lit perso. On s’arrange avec Gaby, il dormira avec Claudia puisque je lui donne chaud ! Je serais quand même curieux de voir la tête d’un habitué du TGV dans ce train.

Après dîner, j’engage la conversation avec un homme très sympathique qui se révèle être le gérant du Turistel et qui a eu la même idée que moi : faire ce dernier voyage pour le plaisir et revenir le jour même à Santiago. Ça me rassure car je me dis que je ne suis pas si fêlé que ça. Et lui, il veut même acheter un wagon quand ils seront, ce dont il est certain, mis en vente.

Par contre, la nuit est un peu difficile. Le tangage est supportable, mais par moments, le roulis est impressionnant. On se croirait en haute mer, surtout entre Chillán et Temuco. Pour tout dire, Claudia et moi, nous n’avons pratiquement dormi. Pas de problèmes pour les enfants : frais comme des roses ! Puis petit- déjeuner dans les mêmes conditions que le dîner, c’est pas facile de boire son café !

Et puis vient l’heure de débarquer. Il faut être patient car le quai est trop court pour que tous les voyageurs descendent en même temps. Donc on commence par la queue du train et on recule jusqu’à ce que tout le monde puisse accéder au quai. Arrivée à Temuco à 10 h 30 précises. Le mécanicien a dû se faire un point d’honneur à réussir ce coup de maître digne d’un Teuton.

Le voyage dans le temps est terminé. Il ne nous reste plus qu’à assister à la célébration des Fêtes Patriotiques dans le centre ville et attendre patiemment 21 h 45 où un bus ultra-moderne nous ramènera à Santiago en 8 h 30 au lieu de 13 h. Et d’un seul coup, nous faisons un bond dans le temps de 75 ans en avant.

Malheureusement, cette aventure-là, je ne peux pas vous la recommander puisqu’elle appartient désormais, définitivement au passé. D’ailleurs, Amanda ne vous la conseillerait certainement pas, car elle persiste à me prendre pour un débile profond d’avoir dépensé autant d’argent, simplement pour le plaisir de....prendre le train.

Il ne nous reste donc plus qu’à régler nos montres avec les vôtres avant de retourner au charbon et retrouver notre train-train quotidien.

A bientôt pour de nouvelles aventures.